Journée de grève pour les pharmaciens : une mobilisation inédite
Rédigé par Laure Hanggi , le 30 September 2014 à 13h07
Les professions réglementées, soit les professions fermées à la concurrence, seront à l'appel de leurs syndicats respectifs, massivement en grève ce mardi 30 septembre pour protester contre le projet de réforme du gouvernement.
Des professions au statut spécifique
Selon le site officiel de l'administration française, les professions réglementées sont des professions « dont l'exercice requiert la possession d'un diplôme ou une autre condition formelle de qualification ». Très nombreuses, elles sont sujettes à des situations de monopole, sur lesquelles veut revenir le gouvernement. C'est pourquoi un projet de loi de libéralisation des métiers réglementés, qui sera présenté au Conseil des Ministres à la mi-octobre, avant de l'être au Parlement début 2015, a été mis en place. Ce projet, dont le but est l'ouverture de ces professions à la concurrence, veut parvenir à une baisse des tarifs chez ces dernières et à une amélioration du pouvoir d'achat des Français. En effet, selon le gouvernement, l'ouverture du capital des professions libérales réglementées permettrait un développement de l'emploi bénéfique à l'État. Pour l'Inspection Général des Finances (IGF), 120 000 emplois pourraient être créés.
Ce projet de loi n'est pas inattendu. Au nombre de 37 selon la liste établi par l'IGF, ces professions sont dans la ligne de mire du pouvoir depuis le rapport Attali en 2007. Portant sur la libération de la croissance, ce dernier conseillait déjà de limiter leurs monopoles pour dynamiser l'économie française. Les spécificités qui garantissent à ces professions ce statut particulier sont aujourd'hui remises en cause, ce qui ne plaît pas aux principaux intéressés.
Une grève sans précédent
Si les 3 secteurs (droit, expertises techniques, santé) composant les professions réglementées sont en grève aujourd'hui, les revendications des employés du secteur de la santé ont eu un écho particulier, par leur mobilisation sans précédent. Les pharmaciens ont notamment beaucoup fait parler d'eux. « À Lyon, à Nanterre et à Neuilly, 100 % des pharmacies seront fermées. À Metz on s'en approche et à Paris, on est dans les 90 %. Je n'avais jamais vu ça de ma vie. La dernière grande grève des pharmaciens remonte à 1986 », affirme Eric Myon, secrétaire national de l'Union Nationale des Pharmacies de France, sur Europe 1. Les pharmaciens protestent particulièrement contre l'ouverture à la vente de médicaments délivrés sans ordonnance dans les grandes surfaces, et l'ouverture du capital à des investisseurs extérieurs venant de sociétés d'exercice libéral (SEL). L'action de ces sociétés, créées pour permettre aux membres des professions libérales d'exercer leur activité sous forme de sociétés commerciales, pourrait concerner 7000 des 22000 officines en France. Les pharmaciens disent craindre l'arrivée de groupes financiers qui mettraient en danger leur vocation de service public.
Les médecins généralistes ont également été appelés par leur syndicat principal à fermer leur cabinet en ce mardi 30 septembre. Ils protestent contre le même projet de loi qui placera selon eux la médecine libérale sous l'égide de l'administration. D'autres professions telles que les dentistes, les ophtalmologistes, les kinésithérapeutes et les laboratoires seront également en grève. Ce qui unit tous ces groupes dans la protestation est l'opposition à l'ouverture du secteur aux sociétés libérales et la crainte concernant la suppression du numerus clausus (limitation décidée par une autorité publique ou professionnelle du nombre de personnes admises à exercer un métier). Le Centre National des Professions libérales de Santé prévient dans un communiqué : « Si la réforme envisagée par le ministre de l’économie, de l'industrie et du numérique supprimait la réglementation instaurée par l’État, un véritable séisme secouerait le système de santé et remettrait en question la sécurité sanitaire dans notre pays ».
Une journée décisive ?
Des aménagements ont tout de même été mis en place pour assurer un service minimum en cette journée de grève. Les Agences Régionale de Santé (ARS) ont réquisitionné entre 10 et 20 pharmacies par département dans ce sens (principalement des pharmacies de garde), et le système de garde de nuit sera étendu à la journée pour les médecins.
Cependant, cette journée pourrait faire basculer la situation. Dans une interview accordée à Europe 1, le ministre de l'Économie Emmanuel Macron affirme que les problèmes des Français ne seront pas résolus en sacrifiant les pharmaciens et les notaires. « Dire que cela rendra 6 milliards d'euros de pouvoir d'achat aux Français, c'est une illusion », conclut-il en faisant référence aux propos de son prédécesseur Arnaud Montebourg. En cas de retrait du projet de loi, la situation resterait telle qu'elle est aujourd'hui : les médicaments seraient uniquement vendus en pharmacie, et les produits déjà vendus en grandes surfaces y demeureraient (tests de grossesse, liquide de nettoyage des lentilles, etc.).
Des concessions pourraient alors être négociées avec les pharmaciens, d'autant plus que le soutien de ces derniers est nécessaire au gouvernement pour l'application de la loi de santé prévue pour 2015, qui a pour but de s'attaquer au déficit de l'Assurance Maladie. Voulant pour cela mieux organiser les soins et en garantir un meilleur accès, le gouvernement doit assurer une cohésion de l'ensemble du monde médical.