Interview : Agnès Ledig, auteur du papier à propos du point du mari, explique tout à Allo-Médecins

« Ce papier, je l'avais posté sur ma page facebook, pour exprimer mon avis, sans savoir que cela allait être autant diffusé, repris, et parfois mal interprété. ». Agnès Ledig est une sage-femme, la sage-femme qui a dénoncé pour la première fois le point du mari. Cette pratique faite sur les mères venant d’accoucher a créé un buzz à cause de son caractère choquant. Les réactions se sont multipliées tout au long de la semaine. Allo-Médecins donne la parole à Agnès Ledig, qui souhaite mettre au clair ses intentions, et son message.  

Allo-Médecins : Pouvez-vous expliquer en quoi consiste le point du mari ?

Agnès Ledig : Il semble avoir plusieurs sens d'après les témoignages. Souvent un ou plusieurs points plus serrés que nécessaire en fin de suture d'épisiotomie ou de déchirure et dans le pire des cas c’est un rajout de points au niveau des muqueuses en les ayant parfois abrasées pour qu’elles cicatrisent ensemble une fois suturées. C'est cet acte précis qui est extrêmement choquant.

A-M : Quel en est l’objectif ?

A Le : Resserrer l’entrée pour réduire l’ouverture du vagin après l’accouchement pour améliorer  la sexualité ultérieure.

A-M : C’est le plaisir du mari qui est mis en avant ?

A Le : C’est présenté comme ça. Si on fait un point plus serré, la pénétration serait plus agréable pour Monsieur. Soit disant. Comme pour redonner une certaine tonicité au périnée de façon artificielle alors que ce n’est pas du tout une bonne méthode pour le faire. Il y a d’autres moyens, en particulier la rééducation du périnée, pour permettre de retrouver une sexualité satisfaisante après un accouchement, en douceur et dans le respect des patientes. Une sage-femme me disait avoir entendu un médecin dire à la patiente qu'il suturait « Arrêtez de bouger, je refais la salle de jeu de Monsieur ». Je trouve ça très irrespectueux pour la femme.

A-M : Comment avez-vous appris cette pratique ?

A Le : En premier lieu, cela a été évoqué comme une pratique existente quand j'ai fait l'école de sages-femmes dans les années 2000 durant le cours sur la suture du périnée. Récemment, nous en avons parlé entre collègues, car la patiente de l'une d'elle lui avait transmis cette phrase du gynécologue lors de son accouchement : "Je vous fais un point du mari, pour vous ça ne changera rien, mais Monsieur sera content. D'autres sages-femmes ont alors dit que pendant leurs études, on leur avait proposé d'apprendre cette pratique. J’ai réagi parce que je me suis rendue compte que c’était toujours d’actualité, et que c'était inacceptable.

A-M : Comment a réagi le corps médical ?

A Le : Je tiens vraiment à préciser que ça n'entre pas dans un combat corporatiste des sages-femmes contre les médecins. Je m'élève très fortement contre ce genre d'attitude, car nous avons tous besoin les uns des autres, dans un travail harmonieux et en bonne intelligence. Il serait ridicule de tomber dans ce genre de travers. Certains médecins ont démenti l'existence de cette pratique. Mais les témoignages des femmes sont là, ainsi que ceux des sages-femmes. Je ne pense pas qu'on puisse ainsi en nier l'existence. Même si cela est très clairement anecdotique et rare, fort heureusement, il faut quand même le dire, et faire réfléchir les professionnels sur la prise en charge des femmes d'une manière plus générale. Je pense qu'il faut aussi éveiller les patientes sur ce qu'elles doivent accepter ou non durant certains actes médicaux. Mais attention, cela ne doit pas remettre en question certains actes nécessaires pour la bonne santé des femmes et des bébés. J'ai vu sur des forums des personnes qui voulaient combattre l'épisiotomie. Elle est salvatrice dans certains cas, quand elle est faite à bon escient, il ne faut pas la condamner systématiquement. De nombreuses femmes se sont dit « J’ai eu mal après l’accouchement donc on m’a fait le point du mari ». C'est bien trop réducteur. De nombreuses patientes ressentent des douleurs liées simplement à la cicatrisation, qui cèdent souvent par des massages ou de la rééducation du périnée. Cependant, là aussi il faut réfléchir à la technique de suture, et ne pas laisser les internes en apprentissage seuls pour le faire tant qu'ils ne maîtrisent pas parfaitement la technique. Car cela peut déterminer le bien-être de la femme parfois pour le reste de sa vie.

A-M : Vous dîtes que cette pratique est anecdotique et doit ouvrir vers une dénonciation de toutes les violences médicales. Pourquoi avoir choisi cette pratique ?

A Le : Le point du mari est un peu à part parce qu’il est très anecdotique et surtout assez malsain dans son intention : remodeler volontairement un corps de femme en vue d'une meilleure sexualité. Certains hommes le demandent au médecin ou à la sage-femme, lors de la suture. Certaines femmes, même, en pensant que ce sera mieux. Mais, personne n’a à décider de refaire le vagin d’une femme avec du fil de suture pour le plaisir de son mari. D'abord parce que ce n'est pas la solution, comme je le disais précédement, ensuite parce que tout acte doit nécessiter le consentement éclairé. Avertir des effets secondaires possibles, entre autre une dyspareunie (douleur aux rapports). Après un accouchement, c'est difficile pour elle de donner son accord sur une telle pratique. Elle vient de vivre un accouchement, elle fait connaissance avec son bébé, elle n’est pas trop au fait de l’état dans lequel se trouve son périnée. Elle fait confiance à son accoucheur et il ne faut pas rompre cette confiance.

A-M : Parmi les médecins qui le font : demandent-ils à la femme ou le font-ils sans le demander ?

A-Le : Dans les témoignages que j’ai eus de la part de collègues, certaines fois,  le médecin s’occupe de la suture sans rien dire. Une femme a rapporté qu’elle s’est rendue à une visite post-natale en expliquant qu’elle avait mal au moment des rapports. Et c’est à ce moment qu’on lui a appris qu’elle avait un vagin resserré.

A-M : Votre intention était-elle de mettre en lumière les violences dans le milieu de la santé ?

A Le : La très grande majorité des professionnels de santé sont très respectueux des femmes et font bien leur travail. Les dysfonctionnements concernent une part très réduite des professionnels de santé, mais ce n'est pas une raison pour laisser faire. Une femme qui souffre du fait de l'action extérieure de quelqu'un d'autre, ce n'est pas acceptable. Des femmes qui se font examiner dix fois de suite parce que les étudiants doivent se former, c’est intolérable. Des femmes sur qui l'on crie ou dont on se moque parce qu’elles sont trop grosses est honteux. Je pense que le point du mari a été l’étincelle, et je me suis dit qu’il était temps de dénoncer les abus qui peuvent exister dans le milieu médical et qui font souffrir les femmes (et probablement des hommes d'ailleurs, dans d'autres situations). J’aimerais vraiment que ça puisse ouvrir le débat sur le respect des femmes dans leurs corps, et leur intimité. Ecarter les jambes devant quelqu’un qu’on ne connait pas, ce n’est pas anodin. Je vois ça un peu comme quelqu’un qui sonne à votre porte. S’il ne demande pas l’autorisation pour entrer et qu'il entre, c’est une intrusion. Si c'est vous qui lui donnez votre accord, c'est beaucoup mieux vécu. ll en est de même pour le corps. Quand je dois examiner une patiente, je lui demande de me dire quand elle est prête, et j’attends jusqu’à ce qu’elle le soit. J’en ai eu une un jour qui s’est mise à pleurer donc je ne l’ai pas examinée. Elle m’a raconté le traumatisme de son accouchement, que ça avait été violent pour elle, avec des touchés vaginaux sans aucun égard de la part de la sage-femme. Il y a des femmes qui souffrent, et il est temps de les entendre.

A-M : Comptez-vous continuer à dénoncer les violences ?

A Le : Je vais surtout faire ce que je peux à mon échelle, dans mon cabinet, en apprenant aux femmes à se faire respecter. Il faut leur ouvrir les yeux, leur expliquer comment va se dérouler l’accouchement et ce qui se passe après. Leur permettre d'oser demander un drap pour les couvrir si elles ne se sentent pas dans un lieu sécurisé alors qu'elles sont nues, par exemple. Ou ne pas accepter la présence de plusieurs étudiants en même temps. Je ne vais pas faire un papier toutes les semaines pour dénoncer ce qui existe. J’aimerais simplement qu’on réfléchisse à la manière dont les femmes sont prises en charge aujourd’hui en particulier autour de la naissance et de la gynécologie et comment elles vivent ça. Et ce que les professionnels de santé peuvent faire pour améliorer leur bien-être.

A-M : Y a-t-il une autre pratique méconnue, et qui vous a particulièrement choquée ?

A Le : Je les ai citées précédemment. Des internes ont aussi témoigné de touchers vaginaux pratiqués sur des femmes endormies par anesthésie générale lors d'une banale opération.C’est l’occasion pour eux de sentir de ce qu’est un col de l’utérus, sans que la femme ne soit au courant. L'idée est assez insupportable.

Beaucoup de femmes souffrent en silence de mauvais traitements. On parle de plus en plus des violences conjugales, ou au travail, c'est très bien. J'aimerais que l'on ouvre aussi le débat sur ce qui est vécu en milieu médical. Car ces femmes n'osent pas parler. Elles pensent que c'est normal ou elles n'en ont pas la force.

Nous remercions Agnès Ledig pour avoir répondu à nos questions. Nous rappelons que le texte qu’elle a publié n’a aucun lien avec la grève des sages-femmes. Agnès Ledig dénonçait une pratique, anecdotique certes, et à titre personnel. Le point du mari n’est pas le sujet principal mais doit ouvrir vers une réflexion générale des violences faites aux femmes et aux hommes dans le milieu médical.

Vous pouvez retrouver d’autres professionnels de la santé qui dénoncent ces violences, tels que le médecin généraliste Martin Winckler dont le blog est consultable ici.