Une mutation génétique responsable de l’adaptation des tibétains à l’altitude
Rédigé par Céline Le Goff , le 22 August 2014 à 16h48
Une étude américaine de l’Université de l’Utah a en partie compris la raison pour laquelle les tibétains se sont si bien adaptés à l’altitude sans souffrir des problèmes de santé dont sont touchés les autres êtres humains. En cause, la mutation d’un gène qui s’est répandue chez les tibétains il y a plus de 8000 ans, héritage des Dénisoviens aujourd’hui disparus.
Le taux d’hémoglobine dans le sang des tibétains reste stable malgré l’altitude élevée
Lorsqu’un homme atteint des altitudes élevées, où le dioxygène est plus rare, son organisme compense en produisant plus de globules rouges, en augmentant le taux d’hémoglobine dans le sang et en accélérant le rythme cardiaque et la respiration. Mais ce mécanisme d’adaptation peut causer des problèmes de santé si l’altitude devient extrême. Le taux d’hémoglobine atteint alors des sommets et le sang s’épaissit. C’est ce qu’on appelle la maladie de Monge engendrant une hypertension pulmonaire artérielle et parfois une insuffisance cardiaque.
Pourtant les tibétains, vivant à une altitude moyenne de 3900 mètres, un des endroits habités les plus élevés, ne réagissent pas de la même manière au manque de dioxygène. Leur taux d’hémoglobine dans le sang est presque semblable à ceux des hommes vivant au niveau de la mer et ils vivent en parfaite santé avec 40% de dioxygène en moins que les autres populations.
Le gène responsable de cet accroissement des globules rouges en altitude pour compenser le manque d’oxygène est baptisé EPAS1. Il s’active lorsque les niveaux d’oxygène dans le sang chutent. Les scientifiques ont découvert que les tibétains étaient dotés d’une variante de ce gène qui leur permettait ainsi de garder un niveau d’hémoglobine stable malgré la faible présence de dioxygène. Les tibétains ne sont donc pas touchés par la maladie de Monge. Or cette mutation est rare chez le reste de la population mondiale, ainsi que parmi les Hans chinois installés au Tibet.
Une mutation génétique hérité d’une population vieille de 40.000 ans
Cette variante génétique aurait été hérité des Dénisoviens, qui auraient vécus en Asie du Sud-Est et se sont éteints 40.000 à 50.000 ans plus tôt. Ce sont des restes d’os présents en Sibérie qui ont permis une analyse de l’ADN des Dénisoviens en 2010. Ces conclusions proviennent d’une étude réalisée par une équipe de l'université de Berkeley (Californie) qui ont séquencé les ADN de chinois et de tibétains. « Nous avons une preuve très claire que cette version du gène provient des Dénisoviens », affirme Rasmus Nielsen, professeur à l'université de Berkeley et auteur principal de l'étude. « Nous avons découvert qu'une partie du gène EPAS1 chez les Tibétains est presque identique à ce gène chez les Dénisoviens, et très différent de celui de tous les autres humains... Cela montre très clairement et directement que les humains ont évolué et se sont adaptés à de nouveaux environnements en obtenant leurs gènes auprès d'une autre espèce ».
Comment ce gène s’est-il répandu chez les tibétains et non chez les Hans chinois présents dans la région ? Les scientifiques ont avancé que la seule explication plausible est que les ancêtres des tibétains et des Hans chinois ont obtenu ce gène en s’accouplant aux Dénisoviens. La raison pour laquelle seuls les tibétains l’ont conservé aujourd’hui - et que la mutation de ce gène est extrêmement rare chez les Hans chinois qui ont pourtant les mêmes ancêtres - est que les tibétains sont allés vivre dans les hautes montagnes et donc la présence de cette mutation était nécessaire à leur survie. Tandis que les Hans chinois vivaient à des altitudes raisonnables et ne nécessitaient donc pas la mutation de l’EPAS1. La variante du gène a donc été favorisée par la sélection naturelle, les tibétains qui n’en étaient pas dotés mourraient plus fréquemment que les autres et majoritairement ceux qui ont hérité de la mutation ont survécu et se sont reproduits.
Les tibétains espèrent que ces études permettront de prouver la différence tant génétique que culturelle entre les tibétains et les chinois. C’est pour eux un réel enjeu politique et social. En effet, le Tibet, faisant parti de la République populaire de Chine depuis l’offensive militaire chinoise de 1950, voit de plus en plus de chinois s’installer dans la région et les tibétains combattent depuis longtemps pour leur indépendance.