Et si demain on se faisait vacciner par nos pharmaciens ?
Rédigé par Laure Hanggi , le 21 October 2014 à 15h23
Le gouvernement vise une couverture vaccinale du pays de 95%.
Le projet de loi Santé, présenté la semaine dernière (15 octobre) par Marisol Touraine au Conseil des Ministres, ne cesse de faire débat. Dernier sujet de discorde : l'ouverture de la pratique de la vaccination aux pharmaciens, qui ne plaît pas du tout aux médecins généralistes.
Améliorer la couverture vaccinale en France
Selon le gouvernement, ce projet d'ouverture de la vaccination aux pharmaciens est né de la volonté de rendre la vaccination plus accessible à la population. En effet, selon l'Inpes (Institut national de prévention et d'éducation pour la santé), si 8 Français sur 10 sont favorables au geste, près de 20 % sont en retard dans leurs vaccinations. L'objectif est de couvrir 95 % de la population grâce à cette élargissement des « compétences de certains professionnels de santé », explique Marisol Touraine, ministre de la Santé.
Le projet de loi vise particulièrement les adolescents et les adultes, qui contrairement aux enfants, sont moins à jour et consultent plus régulièrement leur pharmacien que leur médecin traitant. « Globalement, les enfants sont bien vaccinés. Ce sont les rappels qui sont souvent oubliés », affirme le ministère. Ainsi, comme l'indiquait l'Institut national de veille sanitaire (InVS) dans son rapport de 2013, moins de la moitié des adolescents sont à jour dans leur vaccination contre l'hépatite B.
Pour le gouvernement, cette ouverture de la vaccination aux pharmaciens aurait également l'avantage de pallier à la problématique des déserts médicaux, tout en faisant des économies. En effet, le pharmacien, disponible sans rendez-vous pourrait permettre une fluidification des consultations médicales. De plus, bien qu'aucun prix n'ait encore été officiellement fixé, se faire vacciner chez le pharmacien pourrait coûter 10 euros contre 23 euros en moyenne lors d'une consultation (sans compter les dépassements d'honoraires). Cette mesure permettrait ainsi à la Sécurité Sociale de faire des économies non négligeables.
Des médecins qui grincent des dents
Les médecins, de leur côté, ne sont pas du tout d'accord avec ce projet de loi. L'UNOF-CSMF (premier syndicat des médecins libéraux) a appelé hier lundi 20 octobre à la fermeture des cabinets de médecine générale pendant la période de Noël, du 24 au 31 décembre. En effet selon le syndicat, ce projet symbolise la remise en cause de « la globalité de la prise en charge par le médecin traitant » ainsi que la modification du « périmètre du métier de médecin généraliste ». Les médecins s'interrogent également sur la traçabilité de ces vaccinations et craignent que cette mesure amène à une banalisation de l'acte de vaccination.
Pour MG France (premier syndicat des médecins généralistes), ce projet « continue de dépecer la médecine générale en découpant en morceaux le champ d'activité du généraliste ». Pour le vice-président du syndicat, le Dr Bruno Deloffre, ce projet est « une mauvaise réponse à un vrai problème », qui ne fera pas « avancer la problématique des vaccinations ». Pour lui, comme pour de nombreux autres acteurs de la médecine générale, la seule solution, pour répondre au problème des vaccinations tout en assurant un bon suivi, serait que les médecins puissent conserver des vaccins dans leur cabinet. Cette pratique, aujourd'hui interdite, permettrait selon eux de vacciner les patients au moment nécessaire, pendant leurs consultations.
L'application de la mesure à approfondir
Les pharmaciens ont accueilli de manière plutôt positive cette annonce, même s'ils regrettent de ne pas avoir été consultés. Pour Paul Gelbhart, de l'Union des syndicats de pharmaciens d'officine, « on ne peut pas régler un problème sanitaire les uns contre les autres sans concertation. Autant essayer de discuter tous ensemble de la répartition et de la délégation des tâches ». En effet, il reste encore beaucoup de zones d'ombre concernant la mise en place de cette mesure.
Dans le cas de l'application de cette mesure, les pharmaciens agiraient en lien avec les médecins traitants, toujours seuls habilités à prescrire des vaccins. Cependant, on ignore toujours comment les pharmaciens seraient formés à cette tâche, ni de quelle manière les pharmacies seraient réaménagées pour inclure des espaces privés. De plus, on ne sait pas encore quels vaccins seront concernés par cette mesure hormis celui de la grippe. En baisse constante depuis 3 ans, le nombre de vaccinations concernant la grippe n'atteint pas les objectifs : seuls 50 % des plus de 65 ans se vaccinent pour un objectif de 75 %.
Les personnes soutenant le projet s'appuient également sur le cas du Portugal qui « a franchi le pas il y a six ans [faisant ] qu'aujourd'hui, 80 % de ses pharmaciens vaccinent, notamment contre la grippe », déclare dans Le Parisien Philippe Gaertner, président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France.
Cette mesure, tout comme les autres ayant déjà fait débat, sera discutée au Parlement au début de l'année 2015. Si elle venait à être acceptée, des décrets d'application seraient alors nécessaires pour rendre sa mise en place possible et incontestable.