Multiplication des suicides chez Orange : un débat qui traîne et des morts qui s'accumulent
Rédigé par Alexis Van Wittenberghe , le 19 March 2014 à 20h00
L'Observatoire du Stress et des Mobilités Forcées du légendaire groupe de télécommunication a annoncé un dixième suicide depuis le début de l'année au sein de l'entreprise.
L'annonce d'un dixième suicide depuis le début de l'année 2014 chez Orange relance le débat autour du mal-être au travail. Elle permet aussi de se poser la question sur la non-existence d'un outil de mesure et de réponse à ces suicides.
Des causes au suicides toujours difficiles à déceller
L’Observatoire du Stress et des Mobilités forcées, mis en place par les syndicats d'Orange (ex-France-Télécom), a annoncé mardi, une recrudescence des suicides chez Orange. Dix personnes sont mortes depuis le début de l’année, soit « presque autant qu’au cours de toute l’année 2013 » a annoncé cet organisme initialement mis en place pour surveiller les conséquences de la mutation forcée de l’ancienne entreprise publique.
Ce constat pour le moins alarmant relance les débats autour du mal-être et du suicide dans les entreprises françaises. Il n’y a pas de fumée sans feu, mais le fait est que déceler les origines du mal-être en entreprise est compliqué. Près de 11 000 personnes parviennent à se donner la mort en France chaque année (sur près de 220 000 tentatives). Sur ces 11000 suicides, seuls 400 en moyenne sont liés avec certitude au travail.
Ce dernier chiffre peut être vu comme faible (près de 4%) mais il ne représente pas ou peu la réalité des faits. Comment savoir si ce sont les problèmes au travail ont qui influé sur la vie personnelle ou si il s’agit du phénomène inverse ? La mutation accélérée qu’ont connue des entreprises comme Orange ou LaPoste n’a pas pris en compte le facteur humain et a entrainé par voie de conséquence à un décalage entre les attentes des entreprises affrontant la mondialisation de face et les salariés qui ont du faire le même saut mais qui n’étaient en rien préparés pour le faire.
Une prise de conscience sérieuse qui tarde à arriver
De nombreuses études ont d’ores et déjà établi des liens entre des conditions de travail exécrables et suicide. La culture managériale française est à ce titre pointée du doigt. Considérée comme l’une des plus dures au monde, elle ne laisserait que peu de place à l’écoute et au dialogue démocratique. Marco Diani, sociologue et chercheur au CNRS, spécialiste de la question, avait écrit une série d’articles suite au nombre important de suicides qui frappaient alors Orange entre 2008 et 2009. Il y dénonçait le passage « d’une quasi-absence de pression sur les performances et une cogestion humaine traditionnellement organisée avec les syndicats à un univers déshumanisé et impitoyable» et la multiplication des audits internes qui avait alors pour seul but d’amadouer les salariés.
Qu’en est-il aujourd’hui ? Le taux de suicides en France (14,7 pour 100000 personnes) est toujours plus élevé que la moyenne européenne (10,2). Le taux de suicide dans les entreprises semble, pour sa part, conserver les mêmes proportions avec les restes des pays européens. Aucun outil à ce jour n’a été mis en place au niveau national pour étudier ce phénomène de près et y apporter des solutions. Les chercheurs comme Marco Diani ont pourtant beaucoup de choses à dire à ce sujet, il serait peut-être temps que les politiques en prennent conscience avant que d’autres drames ne surviennent encore.