La dépression à répétition abîme le cerveau
Rédigé par Laure Hanggi , le 14 October 2014 à 14h46
15% de la population a ou aura une dépression au cours de sa vie.
Une étude dirigée par l'Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale) s'est intéressée à l'impact de la dépression sur les fonctions cognitives. Les chercheurs ont démontré que cette maladie n'avait pas que des conséquences psychiques, mais laissait également des « cicatrices dépressives » dans le cerveau.
Un test simple pour révéler les difficultés des dépressifs
Une nouvelle étude de l'Inserm, dont les résultats ont été publiés lundi 13 septembre dans European Neuropsychopharmacology, affirme que la dépression ralentit les capacités cognitives des malades, même une fois guéris. Si les chercheurs savaient déjà que les fonctions intellectuelles étaient touchées pendant la dépression, ils ignoraient que celle-ci pouvait avoir des conséquences après la guérison.
L'équipe a suivi plus de 2000 patients dépressifs ayant déjà connu entre 1 et 5 épisodes dépressifs et leur a fait effectuer un test. Celui-ci consistait à relier par ordre croissant des cercles numérotés dans le désordre sur une feuille. Si les temps de réalisation de l'exercice ne varient pas après une première dépression, les chiffres augmentent chez les patients ayant souffert de plusieurs dépressions, même s'ils sont guéris. Ainsi, 6 semaines après la réalisation du premier test, les patients, dont la moitié n'était plus malade, ont du s'exécuter à nouveau. L'équipe de recherche a pu alors analyser les résultats. Le Pr Gorwood, psychiatre à l'hôpital Sainte-Anne et directeur de l'étude, explique : « Quand la personne a souffert d'un ou de deux épisodes dépressifs, il met un peu plus de 30 secondes [pour réaliser l'exercice] mais si c'était sa quatrième dépression, on passe à 45 secondes. À cinq dépressions ou plus, il leur faut quasiment 1,20 minute pour faire le test. C'est le même résultat que quelqu’un qui est en pleine dépression".
Même après que les paramètres de l'âge, du niveau d'étude ou de l'activité professionnelle ont été ajustés, les résultats restent très tranchés. Pour le Pr Gorwoord, il faut envisager la dépression comme une maladie laissant des cicatrices, qui s'approfondissent à chaque épisode dépressif. La dépression entraînant une « perte de neuroplasticité », les victimes ont plus de mal « à créer de nouveaux réseaux neuronaux ». Or, ces derniers nous sont indispensables, car ils jouent un rôle clé dans l'appréhension de l'environnement et dans la capacité d'adaptation aux changements.
La dépression : maladie neurotoxique
Cette étude de l'Inserm est également la première à démontrer aussi clairement que la dépression est une maladie neurotoxique, c'est-à-dire néfaste pour le système nerveux. Cela pourrait expliquer le cercle vicieux dans lequel se retrouvent souvent les dépressifs et qui rend difficile la sortie définitive de la maladie. Le Pr Gorwood explique que le retour à la vie normale et professionnelle peut être compliqué pour les anciens malades. Face à la pression, notamment au travail, « l'ancien dépressif va avoir du mal à réagir car il a perdu en rapidité cognitive. Le sentiment de ne pas être à la hauteur ou une mauvaise estime de soi vont alors apparaître, ce qui peut favoriser le risque de rechute en dépression ». Pour enrayer cette mécanique, l'étude préconise de mettre en place la « remédiation cognitive », qui consiste en des exercices ciblant les fonctions affaiblies des anciens malades, telles que la concentration, l'attention ou la rapidité. « Le cerveau a une capacité d'apprentissage qu'il faut stimuler pour éviter les dépressions à répétition », ajoute Philippe Gorwood.
Cette méthode, très utilisée pour soigner la schizophrénie ou les addictions, n'a été jusqu'à présent que très peu employée pour traiter les troubles découlant de la dépression. Pourtant, elle pourrait limiter le risque de rechute en s'attaquant aux dysfonctionnements créés par la dépression, qui font souvent replonger les anciens malades.
Améliorer la prise en charge
15 % de la population, c'est-à-dire 1 personne sur 7 a eu ou aura une dépression dans sa vie, ce qui en fait une maladie très fréquente. Cette étude confirme les résultats de précédentes recherches qui définissait la dépression comme une maladie s'aggravant avec le temps. La prévention des rechutes est donc essentielle. En effet, celles-ci peuvent survenir plusieurs années après la rémission, que le patient ait été traité par médicaments ou psychothérapie. Selon l'Inserm, la rechute intervient dans les cinq années suivant la dépression dans 50 à 80 % des cas.
« La dépression est une maladie, et comme toutes les maladies, quand elles ne sont pas soignées, ou pas suffisamment, elle laisse des cicatrices », résume le Pr Philip Gorwood. Pour ce dernier et toute son équipe, les résultats de cette étude démontrent clairement que le dépistage et la prise en charge doivent se faire de manière rapide et systématique, afin d'enrayer la dégradation des fonctions cognitives des malades et soigner la dépression efficacement.