Médicaments à l'unité : une révolution nécessaire dans la manière de penser le traitement
Rédigé par Alexis Van Wittenberghe , le 06 April 2014 à 10h55
Entre laboratoires, médecins et pharmaciens, les règles de posologie ont du mal à être appliquées.
La vente de médicaments à l'unité adaptée exactement à la prescription est testée dans plusieurs régions depuis mardi. Sa mise en oeuvre semble toutefois ne pas faire l'unanimité. Pourtant, un rapide calcul chiffre en milliards d'euros les économies possibles. Afin de comprendre les enjeux entourant cette expérimentation, la FSPF a accepter de répondre à nos questions.
La vente de médicaments à l'unité a été lancée à titre expérimental dans trois régions pour une durée de deux ans. L'objectif est de voir si un nouveau modèle de distribution ainsi qu'un nouveau modèle économique permettrait de faire des économies à la Sécurité Sociale et d'améliorer l'observance chez les patients. La lutte contre l'antibiorésistance, le fait que les antibiotiques perdent en efficacité si trop consommés, semble faire l'unanimité, mais l'expérimentationen elle même ne trouvent pas que des partisants chez les pharmaciens. Christophe Koperski de la Fédération des Syndicats Pharmaceutiques de France a accepté de répondre à nos questions pour nous éclaircir sur un sujet qui nous concerne tous et qui pourrait entrainer bien des modifications dans la profession.
Allo-Médecins : Quels points votre syndicat souhaiterait revoir par rapport à la vente à l’unité de médicament ?
Christophe Koperski : Si nous nous remettons dans le contexte de l’assemblée nationale, nous avions accepté et nous étions les seuls, de suivre le gouvernement par rapport à ce problème de santé publique qu’est l’antibiorésistance. Le tout était de trouver le modèle économique, car mettre en place une telle expérimentation avec le mauvais modèle économique peut poser des problèmes dans les résultats de cet essai. Il ne faut pas transformer l’idée en usine à gaz où les pharmaciens passeraient leur temps à faire de la mise en boîte. Ce qui a été présenté est un projet de décret qui décrit les grandes lignes sans spécifier le protocole, nous ne savons ni ce que le pharmacien devra faire, ni le matériel qui devra être utilisé pour le conditionnement, nous ne savons pas non plus qui fournira ce matériel. Il y a encore de grosses incertitudes. La plus grosse porte sur le modèle économique qui n’a pas été présenté de manière claire lors de la première réunion avec les syndicats de pharmaciens. Ce n’est pas celui que nous avons proposé à l’Assemblée Nationale quand nous avons présenté la mesure aux députés. Nous avions prévu une autre réunion la semaine prochaine, nous avons préparé nos remarques et nos propositions, mais il semblerait que le calendrier politique nous ait rattrapés avec les récents évènements.
Il faut se rappeler que c’est une expérimentation qui est limitée dans le temps, deux ans, la troisième servant à l’évaluation. C’est aussi limité dans le nombre de pharmaciens qui vont être impliqués. C’est trois régions et de mémoire, 78 pharmaciens choisis sur les trois régions.
A-M : L’annonce en septembre dernier de la mise en place de la vente à l’unité de médicaments a fait couler beaucoup d’encre. Quels sont les enjeux économiques d’une telle décision pour les pharmaciens ?
C-K : C’est le mode de rémunération actuel qui n’est pas prévu d’être changé. Il faut revoir complètement le modèle de rémunération face à la vente de médicaments à l’unité. Sachant que nous sommes déjà en train de négocier un nouveau mode de rémunération, nous souhaitons nous détacher du prix du médicament vendu dans un premier temps et demain du volume, nous avons une rémunération actuelle qui est basée sur la boîte. Ce modèle n’est pas compatible avec la vente de médicaments à l’unité.
Il faut prendre en compte ces considérations dans cette expérimentation. Cette dernière peut être vue comme un laboratoire d'étude visant à observer les changements radicaux sur le mode de distribution et de rémunération.
A-M : Et pour les patients, qu'en est-il?
C-K : Nous allons dire au patient que ce mode de distribution coûte moins chère à la collectivité, il faut encore pouvoir leur démontrer. Nous (les pharmaciens) ne sommes pas les seuls acteurs dans cette histoire. Les laboratoires pharmaceutiques vendent leurs médicaments sous un certain conditionnement, ils auront surement leur mot à dire aussi.
Dans le domaine des antibiotiques par exemple, la vente à l'unité, c'est limiter à la simple prescription l'utilité de l'utilisation des antibiotiques pour éviter le développement de l'antibiorésistance et améliorer l'observance. Si on vous donne dix comprimés pour le traitement, vous arriverez plus facilement à bout de vos dix comprimés que si vous en aviez, pour le même traitement avec les conditionnements actuels, quinze ou vingt comprimés. Pour l'expérimentation, les antibiotiques ont été choisis pour lutter contre l'antibiorésistance.
En termes d'observance pour le patient, c'est aussi plus facile de voir si l'on a raté une prise de médicament. D'une certaine manière, cela revient à faire comme pour les patients en situation d'autonomie limitée : les médicaments sont déconditionnés pour être placés dans un pilulier. Nous n'irons pas jusque là, nous allons déconditionnés uniquement quand ce sera nécessaire. Aujourd'hui les antibiotiques ont les conditionnements les mieux adaptés à la prescription. Si les médecins respectaient de manière stricto sensu les recommandations de prescriptions et d'autorisation de mise sur le marché, nous n'aurions pas ce problème aujourd'hui.
A-M : Savez-vous quelle est la position des laboratoires pharmaceutiques sur la question de la vente à l'unité?
C-K : Je ne pourrais pas répondre à leur place, maintenant je pense qu'ils doivent être plutôt contre, c'est aussi lié à leur modèle économique. Aujourd'hui ils préfèrent certainement vendre des conditionnements de trois semaines ou un mois plutôt que des conditionnements à l'unité. Par ailleurs, il y a la question de la traçabilité qui rentre en jeu. Les médicaments, une fois qu'ils sont déconditionnables à l'unité de prise, il faut que cette dernière soit traçable. Il faut un code pour les identifier, un numéro de lot, une date de péremption, etc. Je pense que tout ça n'est pas encore au point. Cela viendra, nous sommes poussés par l'Europe à la traçabilité et à la sérialisation.
A-M : Gilles Bonnefond président du syndicat USPO (Union Syndicale des Pharmaciens d'Officine a dénoncé une "sous exploitation" des pharmaciens avec la vente à l'unité, qu'en pensez-vous?
C-K : Je sais qu'il n'était pas favorable à cette mesure, qu'il préfèrerait qu'on adapte avant tout les prescriptions et rappeler aux médecins qu'il faut suivre les recommandations de prescription. Nous sommes des spécialistes du médicament. Qu'on puisse le vendre à la boîte ou à l'unité, nous sommes légitimes dans la préparation des médicaments. Nous avons aussi un rôle de vigie quant à l'observance. Il y a des gens qui ne suivent pas ou mal leur traitement, peut être que cette mesure peut améliorer les pratiques même si ce n'est pas son but premier.
Aujourd'hui le pharmacien va acheter des boîtes, il va en déconditionner certaines seulement car toutes ne sont pas concernées. Beaucoup de boîtes, notamment pour les antibiotiques respectent les quantités nécessaires au traitement.
A-M : Pensez-vous qu'il y ait nécessité, une fois pour toute, d'harmoniser prescription et conditionnement?
C-K : C'est le grand débat. C'est le grand débat puisque vous avez, par exemple, des mois de 28, 30 ou encore 31 jours. La plupart des conditionnements sont prévus en boîtage de 28, d'autres en 30, mais aucun en 31. Donc le patient qui se retrouve avec une boîte de 28 un mois de 31 jours nous dira "il me manque trois jours, comment je fais" et il reprend une boîte. Pour les malades chroniques, cela pose moins de problèmes. Ce sont les antibiotiques qui ont été choisis pour l'expérimentation, ce qui est dommage. Le conditionnement pour les antibiotiques respecte généralement les recommandations de prescriptions. Le problème se pose quand par nécessité, le médecin doit rajouter un, deux ou trois jours de traitement ou plus de comprimés. C'est sur ça, sur la posologie que nous devons faire des efforts. Les antibiotiques sont des traitements de crise, courts, qui durent six ou sept jours.
Nous sommes partis sur un nouveau modèle économique avec un nouveau mode de rémunération. Nous jouerons peut-être sur les pris et non plus sur les conditionnements. À partir du moment où le pharmacien est déconnecté dans sa rémunération, du volume et des prix des médicaments, peut-être que les pouvoirs publics agiront plus facilement sur les prix pour réaliser les économies attendues.
C'est le principe de la mise en place de cette nouvelle rémunération que certains contrent aujourd'hui. Ils ont peut-être peur de ce changement, mais il est inéluctable. Quand on voit les différentes mesures prises indirectement et qui ont un impact sur le prix des médicaments, il y a nécessité de changer de modèle économique. Sinon nous allons voir des pharmacies tomber comme il en tombe aujourd'hui, une tous les trois jours en moyenne.