La médecine sur le fil (de l'araignée)
Rédigé par Laure Hanggi , le 01 October 2014 à 17h32
Le fil de soie est un matériau d'avenir
Des recherches se succèdent pour tenter de reproduire et d'intégrer en médecine les caractéristiques impressionnantes de la soie d'araignée. Cette dernière pourrait permettre de développer des méthodes de traitements plus efficaces et moins invasives.
La toile d'araignée, un matériau d'avenir
L'intérêt porté à la soie des araignées n'est pas récent. Les qualités qui définissent ce biomatériau sont en ligne de mire des industriels, qui recherchent des fibres de haute performance. Cet intérêt est largement justifié. Légère, élastique et flexible, la soie des araignées est plus résistante que l'acier, peut amortir les forces de tension et possède la mémoire des formes.
L'approvisionnement en soie reste néanmoins délicat. La collecte s'effectue par « dévidage », ce qui consiste en l'immobilisation de l'araignée pour tirer délicatement de son abdomen le filament, parallèlement enroulé sur une bobine. En 15 minutes, près de 200 mètres de fil peuvent être récoltés. Cependant, le cannibalisme pratiqué par certaines araignées empêche de mettre en place un élevage intensif. Le dévidage ne pouvant être pratiqué que manuellement, l'accès à cette soie reste limité.
Face à cette situation, nombre de scientifiques ont cherché à reproduire les caractéristiques de cette soie, notamment dans le domaine médical où elle pourrait être d'une grande utilité. Des expériences ont ainsi été menées un peu partout dans le monde.
Fil de soie et médecine
La technique du dévidage a été utilisé en Allemagne par le Professeur Vogt. Chef de laboratoire clinique plastique et reconstructrice de la main à Hanovre, il a expérimenté les propriétés de la soie sur des moutons. Il s'est aperçu que la soie de la Nephila Edulis, qu'il a élevé sur place, était biocompatible, biodégradable et hypoallergénique, n'engendrant ainsi aucun rejet de la part d'un organisme étranger.
Le fil de soie ferait donc un excellent fil de suture, car il favorise la cicatrisation, sert de guide pour la régénération de la peau, du cartilage et des cellules nerveuses qui le colonisent rapidement. Des essais cliniques devraient être bientôt réalisés pour tester l'action de la soie sur le corps humain.
À l'Institut de physique de Rennes (CNRS), on s'intéresse au fil d'une autre araignée, la Nephila Clavipes. Grande comme une paume de main, elle est connue pour ses grandes toiles aux reflets dorés. Ce sont cependant les caractéristiques structurales de son fil qui suscitent l'intérêt des chercheurs. Uniformément lisse et d'un diamètre de 5 micromètres (0,005 mm), ce fil est neutre médicalement et plus robuste que le verre. Transportant très bien la lumière, ce fil pourrait un jour remplacer les fibres optiques d'endoscopes.
La reproduction de cette soie n'est pas facile, mais les enjeux qui l'entourent et ce que cela pourrait permettre dans le monde de la médecine en font un secteur d'avenir incontournable.
Un marché au fort potentiel
Ce sont les protéines composant la soie qui compliquent sa reproduction, car elles sont difficiles à créer. Randy Lewis, directeur du Centre des bioproduits synthétiques à l'Université de l'Utah (États-Unis) a repris les travaux initiés il y a 15 ans par la société Nexia sur la transgénèse. Cette dernière consiste en l'introduction d'un ou plusieurs gènes dans un organisme vivant. Grâce à elle, il a créé une trentaine de « chimères » - chèvres portant le gène de production de soie d'araignée - qu'il élève. Ces chèvres donnent jusqu'à 4 grammes de protéines de soie par litre de lait, qui sont ensuite réduits en poudre, pour être enfin réhydratés et tissés. La médecine fait partie des secteurs qui pourraient bénéficier de ces fibres.
Les entreprises se positionnent déjà dans ce marché naissant. La société allemande AMSilk a annoncé en mars 2013 avoir réussi à créer une substance naturelle (polymère) aux propriétés mécaniques semblables à celles de la soie d'araignée. La commercialisation de ce produit est prévue dès 2016, notamment pour permettre la fabrication de produits médicaux tels que des prothèses mammaires.
Dès le début des années 2000, l'Université de Gand (Belgique) s'intéressait à la soie en tant que base à la reconstruction de certains organes et tissus d'articulations (muscles, ligaments,etc.), ainsi que pour la reconstruction nerveuse. De même en 2003, le projet européen Spiderman avait étudié comment le fil de soie pourrait remplacer les broches, vis et plaques en chirurgie.
Si les grecs se servaient déjà dès l'Antiquité de la soie d'araignée pour fermer les plaies, il faudra encore fournir des efforts pour arriver à une production à grande échelle de matériaux inspirés de cette soie, malgré les multiples débouchés dans le monde de la médecine.