Mémoire : un laser qui permet d’oublier les mauvais souvenirs
Rédigé par Marie Penavayre , le 29 August 2014 à 10h52
Que se passe-t-il dans notre cerveau lorsque nous nous remémorons un souvenir ? Pourquoi ce dernier éveille-t-il en nous une émotion particulière ? Peut-on oublier un souvenir traumatisant ? Une équipe du MIT (Massachusetts Institute of Technology) est en tout cas parvenue à embellir des souvenirs douloureux chez des souris, confirmant la malléabilité de notre mémoire émotionnelle...
Des souvenirs encodés dans certains neurones
La remémoration d’un souvenir nécessite une reconstitution à partir d’un ensemble de données stockées dans différentes zones cérébrales. De précédentes études avaient montré qu’il existait une interaction entre deux structures cérébrales, l’une impliquée dans l’émotion, l’autre dans le stockage des souvenirs : l’amygdale et le gyrus denté de l’hippocampe. Voilà pourquoi une odeur peut raviver le souvenir de l’enfance et déclencher une émotion agréable, à l’image de la madeleine de Proust…
Cette fois-ci, cette nouvelle étude démontre que les émotions rattachées à nos souvenirs sont malléables. Les chercheurs sont en effet parvenus à réécrire les émotions associées à des mauvais souvenirs, chez des souris. Bien que les mécanismes et les circuits neuronaux qui permettent cette reconstitution soient encore mal connus, ces résultats démontrent que l’interaction entre l’amygdale et l’hippocampe est bien plus souple que ce que l'on pensait jusqu'à présent.
Quand la lumière contrôle le cerveau
Ces travaux s'appuient sur une nouvelle technologie permettant de rendre des neurones sensibles à la lumière, appelée "optogénétique". Combinant le génie génétique et l’optique, cette technique consiste à insérer de petits interrupteurs biologiques sur les neurones, afin de les stimuler à volonté. Un laser fixé précisément sur ces cellules a ainsi permis de visualiser en temps réel, chez la souris, la formation d'une inscription en mémoire d’un évènement agréable ou non.
De mauvais souvenirs en bons souvenirs et vice et versa
En activant des neurones de l’amygdale ou de l’hippocampe des souris par optogénétique, les chercheurs ont artificiellement fait ressurgir les souvenirs des différents évènements.
Dans un premier temps, les souris ont été conditionnées, à la lumière, soit à un mauvais souvenir, en leur adressant des petits chocs électriques, soit à un bon souvenir, en les mettant en présence de femelles. Afin de vérifier si les souvenirs étaient bien liés au conditionnement de leur enclos, les chercheurs ont placé les rongeurs dans une boîte sombre dont une partie était éclairée par une lumière bleutée.
Résultat : les souris ayant été conditionnées par la peur s’enfuient car la lumière ravivait le souvenir désagréable des chocs électriques. A l’inverse, les souris conditionnées par le plaisir s’y attardent car le souvenir associé à cette lumière leur était agréable.
Afin d’inverser l’émotion associées à leurs souvenirs, les chercheurs ont ensuite ravivé les souvenirs de chacune des souris, tout en les soumettant à un conditionnement opposé : les souris initialement conditionnées par la peur étaient mises en contact avec des femelles, tandis que celles ayant connu un environnement agréable, ont subi à leur tour des petits chocs électriques.
Résultat : lorsque le lendemain, les souris initialement conditionnées par la peur retournent dans leur boîte illuminée, elles ne s’enfuient plus. Inversement, celles conditionnées d’abord par le plaisir puis électrisées ensuite prennent la fuite. En conditionnant les souris à deux types d’environnement, les chercheurs sont donc parvenus à inverser les émotions associés à un bon ou à un mauvais souvenir. « Nous avons pu remplacer un souvenir de peur par un souvenir de plaisir et vice-versa », conclut le scientifique américain.
Une piste pour traiter certains troubles psychologiques
Les chercheurs, qui avaient déjà publié une étude sur la création de faux souvenirs chez des souris, espèrent que leurs travaux permettront une meilleure compréhension des relations entre la mémoire et l’émotion.
Les circuits neuronaux reliant l’amygdale et l’hippocampe pourraient bien constituer une cible prometteuse pour traiter la dépression ou le syndrome de stress post-traumatique, durant lesquels les patients revivent des flashbacks douloureux.
« Ces résultats fournissent peut-être une explication cellulaire aux psychothérapies qui visent à modifier les souvenirs douloureux, commente Denis Jabaudon, neurobiologiste à l’université de Genève. On reste loin d’une application en thérapie. C’est cependant une étude techniquement très élégante. Tout en démontrant la plasticité du cerveau, elle fait un lien remarquable entre le fonctionnement biologique des neurones et le comportement de ces animaux. »