Le lactate : le carburant de notre mémoire à long terme
Rédigé par Marie Penavayre , le 22 August 2014 à 12h05
En décodant le mécanisme moléculaire, une étude lausannoise confirme le rôle essentiel du lactate, un dérivé du glucose, dans le processus de mémorisation. D’après les chercheurs, ces conclusions ouvrent des perspectives thérapeutiques pour le traitement des troubles de la mémoire, mais aussi de la dépression.
Dans la recherche sur le développement des fonctions cognitives, le neurone est roi. Alors que l’on pensait jusqu’alors que les cellules gliales (les pots de colle des neurones) ne jouaient qu’un rôle de support et d’entretien de ces derniers, un certain type cellulaire révèle peu à peu ses talents dans l’élaboration de fonctions complexes… Ces dernières années, de plus en plus de recherches confirment en effet le rôle crucial des astrocytes, des cellules de forme étoilée, dans la mémoire et l’apprentissage.
2011 : le processus de mémorisation dépend du lactate fabriqué par les astrocytes
Plus précisément, une recherche publiée en 2011 et menée au sein de l’EPFL (École Polytechnique Fédérale de Lausanne) révélait le rôle insoupçonné du lactate dans la formation de la mémoire à long terme. D’où provient ce lactate ? Des astrocytes : grâce à leurs « pieds » apposés contre la paroi des capillaires sanguins du cerveau, les astrocytes absorbent le glucose sanguin avant de le transformer en lactate et de le distribuer aux neurones avoisinants.
« In vivo chez le rat, lorsqu’on bloquait le transfert de lactate des astrocytes aux neurones, on bloquait aussi le processus de mémorisation », résume Pierre Magistretti, principal auteur de l’étude.
Sachez que le processus de mémorisation chez le rat (comme chez la souris) peut être étudié par divers moyens. Une expérience très courante consiste par exemple à créer ce que l’on appelle un « conditionnement d’évitement » : le rat apprend à éviter un choc douloureux en s’enfuyant dès l’émission d’un signal sonore. Après un certain nombre de séances, le rat connait un gain de performance : il se souvient de ce qui l’a mené à ce choc, et cherche désormais à l’éviter.
2014 : la mémoire à long terme est boostée par le lactate
Alors qu’en 2011, les chercheurs ignoraient encore comment le lactate pouvait intervenir dans le processus de mémorisation, ils viennent aujourd’hui d’en décoder le mécanisme moléculaire :
Le lactate produit par les astrocytes active les récepteurs impliqués dans le processus de mémorisation. Il agirait ainsi comme un carburant, en enclenchant le turbo du processus de mémorisation. Reprenant l’analogie du moteur, Pierre Magistretti résume : « le glutamate permet de rouler en première; avec le lactate on enclenche la quatrième et dépasse les 100km/h ».
Des effets antidépresseurs ?
D’après les chercheurs, ces conclusions pourraient avoir des implications significatives dans la compréhension et le traitement de troubles neurodégénératifs comme la Maladie d'Alzheimer. Mais pas seulement. D’après Pierre Magistretti, sachant que les dépressions peuvent conduire à des troubles de la mémoire, le lactate pourrait aussi avoir un effet antidépresseur.
Son laboratoire vient de recevoir des crédits pour étudier les possibles effets thérapeutiques d’un apport artificiel de lactate. « Nous avons identifié une série de molécules capables de faire produire davantage de lactate aux astrocytes. L’idée est maintenant de voir in vivo si on peut ainsi pallier des déficits cognitifs et lutter contre les troubles de la mémoire », précise-t-il.