La privation de sommeil, responsable de la création des faux souvenirs
Rédigé par Céline Le Goff , le 13 August 2014 à 11h58
Une étude récente démontre le lien entre privation de sommeil et création de faux souvenirs. Lorsqu’une personne ne dort que 5 heures par nuit, voire moins, sa mémoire est moins fiable. Le chercheur Steven J. Frenda, qui a dirigé l’étude, s’est dit concerné par les impacts d’un tel lien sur les témoignages oculaires et les interrogatoires lors d’affaires de justice.
Trois expériences menées pour démontrer un lien entre manque de sommeil et faux souvenirs
Il a déjà été démontré des centaines de fois que le sommeil est nécessaire pour la santé. Un manque de sommeil provoque des changements dans la biochimie qui sont nocifs, puisque le corps réalise des fonctions de restauration importantes pendant la nuit. Il a également été osbervé l’impact sur la mémoire par le manque de sommeil. Cette étude démontre plus spécifiquement que lorsque les étapes de mémorisation sont effectuées après une nuit sans sommeil ou avec peu de sommeil, les faux souvenirs sont plus fréquents.
Pour réaliser l’étude, les chercheurs de l’Université de Californie à Irvine et de l’Université du Michigan ont mené plusieurs expériences sur des volontaires. Cela a consisté à étudier le nombre d’heures de sommeil que les personnes avaient eu et leur susceptibilité à développer des faux souvenirs en fonction de la quantité et qualité de leur sommeil.
Pour la première expérience, les chercheurs ont demandé à 193 participants de remplir un questionnaire. Parmi les questions, ils avaient glissé quelques pièges et ont demandé notamment aux personnes s’ils avaient vu des vidéos du crash du vol 93 en Pennsylvanie le 11 septembre 2001, des images qui n’existent pas en réalité. 54% des personnes qui avaient eu 5 heures de sommeil ou moins ont affirmé avoir vu la vidéo contre seulement 33% de ceux qui avaient bénéficié d’une nuit complète.
La seconde expérience consistait à montrer deux séries de photographies illustrant un crime avec un homme entrant par effraction dans une voiture et un voleur subtilisant le portefeuille d’une femme. Les participants avaient préalablement tenu un carnet sur leur sommeil pendant une semaine. Après leur avoir montré les photos, les chercheurs ont lu des récits décrivant le diaporama mais avec quelques indications erronées. Ils ont alors interrogé les volontaires sur les photographies et les éléments présents dans les scènes. 18% des personnes qui avaient dormi en moyenne 5 heures par nuit ont intégré la mauvaise information à leur description des photos contre 13% pour ceux qui avaient dormi normalement. Si l’écart n’est pas conséquent, il existe tout de même une plus grande susceptibilité d’intégrer une mauvaise information lorsque la quantité de sommeil est moindre.
Si la mémorisation est effectuée après une nuit sans sommeil, les faux souvenirs sont fréquents
La plus convaincante expérience est la troisième, lors de laquelle les chercheurs ont répété la méthode de la seconde expérience mais en séparant les 104 participants en deux groupes constitués de personnes ayant effectué une nuit complète et de personnes ayant fait une nuit blanche. Le premier groupe avait observé les photos et entendu les témoignages erronés la veille, avant de passer une nuit blanche ou de dormir. Le second groupe a réalisé l’expérience le matin même après avoir dormi ou être resté éveillé. C’est évidemment le second groupe qui a eu les taux les plus hauts d’intégration de l’information erronée. Les chercheurs ont donc conclu que lorsque les différentes étapes de mémorisation sont effectuées après une mauvaise nuit de sommeil, les chances de faux souvenirs sont plus importantes.
En effet, la mémorisation est effectuée tout d’abord par une étape de codification de l’information, ensuite par le traitement de l’information post-événement et enfin par le souvenir de la mémoire. Si la codification de l’information est effectuée avec un cerveau fatigué, alors les chances de mémoire erronée sont plus fréquentes.
L’explication a été donnée par Steven J. Frenda, professeur au Département de Psychologie de l’Université de Californie. « La privation de sommeil freine la formation de nouvelles dendrites, les portes d'entrées des neurones qui traitent et relayent l'information d'un neurone à l'autre, or cette formation de nouvelles dendrites est associée à l'apprentissage et à la plasticité du cerveau ».
Si dans la vie de tous les jours, ces faux souvenirs n’ont pas de réelles conséquences, il y a des situations où une information erronée assimilée par quelqu’un peut avoir un impact conséquent. Notamment, lorsque la personne est témoin devant le tribunal ou que celle-ci fait l’objet d’un interrogatoire. Les résultats de l’étude deviennent alors importants. Si le témoin n’a pas eu beaucoup de sommeil avant son témoignage, sa mémoire est plus facilement influençable et ainsi, si cette personne a entendu ou lu des informations extérieures sur l’événement, sa mémoire peut être modifiée. Selon Innocent Project, une organisation américaine qui utilise des contre-expertises ADN pour dénoncer des erreurs judiciaires, le faux témoignage visuel est impliqué dans 72% des 317 condamnations qu’ils sont parvenus à casser. Egalement, si un suspect est interrogé par les enquêteurs alors qu’il n’a pas eu le sommeil nécessaire et que deux jours plus tard on le réinterroge sur les informations qui ont été dites pendant le premier interrogatoire, les souvenirs du suspect sont susceptibles de changer et donc il donnera des réponses contradictoires. Il sera considéré comme non fiable par les enquêteurs.
Néanmoins, il est nécessaire de mener d’autres études et d’approfondir ces résultats avant d’adopter des conclusions. Par exemple, il est tentant de penser que les témoins devraient aller se reposer avant de donner leur témoignage, mais les scientifiques ignorent encore la susceptibilité de distorsion de la mémoire si un temps trop long s’écoule.