Greffe de matières fécales : une pratique médicale contrôlée ?
Rédigé par Clémentine Billé , le 24 March 2014 à 11h50
Les matières fécales sont distillées et filtrées avant transplantation
Une bactérie tuant 14 000 américains par an est désormais éliminée grâce à la greffe de matières fécales. Devant l’expansion de transplantations d’excréments, l’ANSM émet un rapport pour réguler cette technique.
Vos selles peuvent soigner des patients, vos selles peuvent même sauver des vies. Oui, la transplantation d’excréments est une pratique médicale. La greffe de matières fécales se démocratise et devant cette expansion, l’ANSM (Agence nationale de la sécurité du médicament) veut encadrer cette pratique étonnante. Elle publie un rapport émettant quelques règles.
Rééquilibrer sa flore intestinale
Chaque personne a une flore intestinale personnelle. Quand vous naissez, elle est vierge, puis est colonisée dès les premiers jours de votre vie jusqu’à évoluer à un microbiote individuel (adapté à votre mode de vie, votre alimentation et votre environnement). Des millions de bactéries sont présentes dans vos tubes digestifs. Mais ceux-ci sont essentielles au bon fonctionnement de l’organisme : elles synthétisent certaines vitamines, dégradent certains composés ou nous protègent de certaines bactéries cette fois-ci néfastes. Or, des facteurs tels que le stress ou la prise d’antibiotiques perturbent le système.
La greffe de matières fécales permet de retrouver un équilibre. Elle consiste à instiller une préparation à base d’excréments dilués et filtrés via une sonde naso-gastrique (situés entre le nez et l’estomac). Le liquide est transfusé pendant 30 à 45 minutes.
Des bactéries mortelles éliminées avec la greffe d’excréments
L’étude du microbiote intestinal humain est en voie de développement depuis peu. Pour preuve, l’ANSM a créé le comité scientifique spécialisé dans la transplantation du microbiote fécal en octobre 2013. En revanche, des études existent depuis 2007 aux Etats-Unis. Si l’initiative a été mise au point en Hollande, OpenBiomme, une organisation non gouvernementale américaine est l’un des précurseurs.
Créée par le Dr Mark Smith et trois collègues, elle voulait aider le corps médical à traiter le Clostrodium difficile (C. difficile). Il tue 14 000 personnes aux Etats-Unis tous les ans. Cette bactérie, résistante aux antibiotiques, provoque des diarrhées qui peuvent s’avérer mortelle dans 30% des cas. La greffe de matières fécales a alors été la solution. Depuis, les médecins cherchent à développer une banque d’excréments sains. Depuis septembre dernier, 13 hôpitaux ont bénéficiés de 135 dons congelés.
Cette bactérie ne se trouve pas seulement de l’autre côté de l’Atlantique. Elle est même toute proche. 40 cas de Clostrodium ont été détectés à Marseille. Elle est à l’heure actuelle la seule ville de France à être touchée, mais ces nombreux cas inquiètent. La plupart des malades sont âgés de plus de 65 ans et ont une flore intestinale perturbée par la prise d’antibiotiques. Près de 90% des patients guérissent via cette technique.
La greffe de matières fécales, une pratique sous contrôle de l’ANSM
Ainsi, l’ANSM veut réglementer la transplantation fécale pour soigner de véritables pathologies comme les maladies inflammatoires chroniques de l’intestin, les troubles fonctionnels intestinaux, ou encore les désordres neuropsychiatriques. L’agence estime que cette pratique doit être considérée comme un véritable médicament et donc obéir à certaines règles telles que la préparation sous la responsabilité de la pharmacie de l'établissement de santé et contrôle effectué au laboratoire de microbiologie. Les donneurs répondent également à certaines conditions très contrôlées : pas de pathologies ni troubles digestifs et pas de séjour à l’étranger notamment.
L’ANSM prévient cependant. Bien que les études soient encourageantes, cette pratique doit rester exceptionnelle et s’appliquer seulement au cas les plus graves, soit après l’échec d’un traitement conventionnel et s’il n’y a pas de solution thérapeutique adaptée. Il reste à savoir si ces restrictions sont appliquées d’un point de vue médical ou éthique.