Aromafork : vive les légumes au goût de chocolat (ou pas)
Rédigé par Laure Hanggi , le 24 September 2014 à 16h52
Si vous pensiez avoir trouvé la solution pour faire manger des légumes à vos enfants, ne vous réjouissez pas trop vite ! Cette nouvelle fourchette aux arômes étonnants met en lumière une vision pour le moins inquiétante de l'alimentation.
Une fourchette qui pique l’intérêt
Cette nouvelle fourchette, que le Huffington Post qualifie de « quasi-magique », se vante de pouvoir transformer les saveurs des aliments que l’on mange. Sophie Boivin, des relations publiques de Molecule-R, l’entreprise commercialisant cette fourchette, explique que cette dernière « joue avec les perceptions. Elle trompe l’esprit en lui faisant croire qu’on est en train de manger ce que l’on sent. » En effet, cette transformation du goût s’explique par le mécanisme chimique faisant fonctionner la fourchette. Un petit buvard se trouvant dans le manche de celle-ci, doit réceptionner la gouttelette qu’on y aura mise, diffusant l’un des 21 arômes très concentrés à disposition.
Pour la diététicienne nutritionniste Vanessa Bedjaï-Haddad, cet objet est un "gadget" permettant "de vivre une expérience sensorielle amusante". Appartenant au "phénomène de mode entourant la cuisine moléculaire", cet objet "rigolo" permet "une association nouvelle et différente de goûts, pour une expérience unique".
Ces arômes, répartis dans 6 catégories (fèves, fruits, herbes, noix, épices, umami), allant du chocolat au wasabi, en passant par la fumée et la coriandre, permettraient, toujours selon le Huffington Post, de diminuer nos contraintes alimentaires. Par exemple, des personnes allergiques à certains aliments pourraient en sentir le goût, ou les végétariens pourraient avoir le doux délice de manger des légumes à la saveur fumée. Si vous faîtes attention à votre ligne, vous pourriez même avoir l’impression de manger du beurre sans aucun apport calorique.
Dans un communiqué rapporté par le Los Angeles Times, Jonathan Coutu, président de Molecule-R, affirme que « personne ne nous apprend à goûter correctement, et la plupart d’entre nous se concentrent instinctivement sur les papilles lors de la dégustation. L’Aromafork démontre et amplifie l’importance du nez dans la perception des saveurs ».
On peut tout de même se questionner sur le véritable attrait, au-delà de la curiosité des premières minutes, de cet objet. D’autant plus que l’entreprise revendique, pour cette fourchette au coût non négligeable (58.95 $ soit près de 46 €), un aspect éducatif en vue d’une meilleure alimentation. Pourtant, selon Vanessa Bedjaï-Haddad, cette fourchette n'a "aucun intérêt sur le plan nutritionnel".
Une vision surprenante de l’alimentation
Le Huffington Post n’est pas le seul à s’extasier sur cet objet. Pour le Los Angeles Times, cette fourchette pourrait contribuer à augmenter la consommation de légumes chez les enfants. En effet, pour Sophie Boivin, ce kit a tout d’abord été développé dans un but éducatif et de divertissement, mais il pourrait être adapté dans le futur pour contribuer à la perte de poids.
On peut, cependant, émettre quelques doutes face au fonctionnement même de l’Aromafork. Est-ce réellement sain de s’alimenter, de manière régulière, en embrouillant ses perceptions et ses papilles ? Les sensations liées à l’alimentation ne peuvent que s’en retrouver perturbées. Tous les exemples d’utilisation cités par l’entreprise impliquent que les aliments tels que les légumes seraient mauvais et qu’il faudrait en cacher le goût. Il faudrait donc plutôt avoir l’impression de manger un chewing-gum ou une mousse au chocolat au lieu de devoir supporter le goût des légumes verts. Cette vision de l’alimentation ne va pas dans le sens d’une éducation alimentaire saine chez les enfants, et la fourchette n'y a pas sa place, renchérit Vanessa Bedjaï-Haddad. Pour elle, "il faut développer chez eux le goût en leur faisant goûter des choses variées au plus près du produit". Dans un but éducatif, elle recommande ainsi de faire cuisiner des légumes aux enfants, pour démystifier ces aliments.
Dans une étude publiée cet été, des chercheurs de plusieurs pays se sont intéressés aux moyens d'amadouer les plus jeunes, afin de leur faire manger plus de légumes. Et une des principales conclusions qu’ils en ont tirées est qu’il ne faut pas chercher à dissimuler les aliments. Pour la professeure Marion Hetherington (Institute of Psychological Sciences) de l’Université de Leeds, il faut donner aux enfants le plus tôt et le plus souvent possible des légumes. « Et si votre bambin fait le difficile ou refuse de manger ses légumes verts, ne rendez pas les armes : notre étude montre qu’il suffit de revenir à la charge entre cinq et dix fois pour mener votre mission à bien».
Cette fourchette ne doit donc pas être utilisée pour "tricher" conclut Vanessa Bedjaï-Haddad. Elle note également que cet objet n'apporte que des odeurs, et pas les nutriments que l'on peut trouver dans les aliments (vitamines, antioxydants, etc). En favorisant ce type de pratique, "on se passe de choses importantes pour la santé".
Patience et éducation valent donc bien mieux que dissimulation.
Pour plus de conseils diététiques, vous pouvez consulter le site de Vanessa Bedjai¨-Haddad ici.