Multiplication des agressions de médecins : l'insécurité peut-elle créer des déserts médicaux ?
Rédigé par Laure Hanggi , le 15 December 2014 à 15h33
Un médecin généraliste qui reçoit une jeune fille.
Suite à la dégradation des conditions de travail des médecins itinérants (SOS Médecins, Samu, etc.), qui sont de plus en plus victimes de violences depuis quelques années, des inquiétudes quant à l'accès aux soins de certaines zones voient le jour. En effet, des populations pourraient se retrouver dépourvues d'accès au soin.
Des agressions qui se multiplient
C'est une nouvelle agression visant un médecin, vendredi 12 décembre dernier à Vitry-sur-Seine (Val-de-Marne) qui a ravivé la colère des professionnels de santé. Le praticien, qui avait été conduit sur place par le Samu suite à l'appel d'une personne en difficulté, a été battu par 3 hommes, alors qu'il se rendait chez sa patiente. Loin d'être un événement isolé, cette agression s'ajoute à une liste qui ne cesse de s'allonger. Le médecin de Vitry affirme quant à lui que cette agression était sa quatrième en deux ans. « Il n'est pas possible d'exercer dans ces conditions », déclare-t-il.
Cette tendance à la hausse des agressions du personnel de santé se confirme au niveau national. Après plusieurs années de baisse, l'année 2013 a vu ces violences exploser. Ainsi, selon l'Observatoire national de la délinquance, créé en 2003 pour étudier ce phénomène, 925 médecins ont déclaré avoir été victimes de violences en 2013, soit une hausse de 16 % par rapport à 2012.
Il convient cependant de relativiser. Bien que les agressions recensées soient principalement verbales (69 %), ces chiffres témoignent d'une détérioration des conditions d'exercice de leur métier par les médecins. L'Observatoire national de la délinquance insiste aujourd'hui sur la recrudescence de ces agressions et sur l'incidence exponentielle des burn-out et dépressions touchant la population médicale
L'accès au soin menacé
Le problème est que la présence des médecins permet de faire subsister un accès aux soins dans certains quartiers. Or, face au danger de plus en plus présent d'être agressé, des médecins toujours plus nombreux jettent l'éponge. Comme l'explique Bernard le Douarin, président du Conseil de l'ordre du Val-de-Marne, suite à l'agression de vendredi dernier, « ce docteur était le seul qui acceptait encore de se rendre dans ce quartier de Vitry. [Le souci est que] ce sont toujours les mêmes quartiers qui posent problème : il faut trouver une solution avant que ceux-ci ne deviennent des déserts médicaux. Si le médecin n'est plus là, la pharmacie déménage, l'infirmière s'en va, etc. ». Il insiste également sur l'état de la démographie médicale, qu'il juge « extrêmement inquiétante ».
En effet, ces agressions ont pour conséquence d'appauvrir l'accès aux soins de certains quartiers. Les médecins se retrouvent donc face à une situation compliquée : « On ne veut pas abandonner certains quartiers sous prétexte qu'ils sont dangereux, mais notre sécurité doit être garantie », insiste le Dr Siavellis, président de l'Union des médecins libéraux d'Île-de-France et coordinateur de la permanence des soins en Seine-Saint-Denis. « C'est à l'État d'assurer notre sécurité, on ne va tout de même pas s'armer pour aller soigner les gens". D'autant plus que bien que les agressions dans ces quartiers soient très médiatisées, les agressions commises en "banlieue" ne représentent que 1 % des faits déclarés.
Pour le Dr Edgard Fellouz, président du conseil départemental de l'ordre des médecins de Seine-Saint-Denis, des mesures supplémentaires doivent être instaurées et la détresse des médecins mieux prise en compte.
Ces actions sont nécessaires, notamment dans des régions telles que le Seine-Saint-Denis où le nombre de médecins par habitants est le plus bas et où les agressions de médecins recensées sont les plus nombreuses. On y dénombre ainsi 112 médecins généralistes pour 100 000 habitants, contre 207 à Paris.
Comment enrayer cette situation ?
Pour les différents groupes représentants des médecins, ces derniers doivent être accompagnés lors de leurs consultations nocturnes, afin d'être moins vulnérables. Un groupe de travail a ainsi été mis en place par la préfecture, suite à la grève express du début de mois de décembre en Seine-Saint-Denis, où plusieurs médecins avaient été agressés.
Pour les médecins urgentistes, l'idéal serait qu'un système d'accompagnement soit mis en place, afin « qu'une personne puisse systématiquement nous récupérer à la sortie de la visite (…) pour aller jusqu'à la voiture », explique le Dr George Hua, médecin au Sur 93 (système d'urgence regroupant des médecins libéraux). Christophe Prudhomme, le porte-parole de l'Association des médecins urgentistes de France, veut également une amélioration de la protection des médecins, mais sans tomber dans l'extrême "d'un policier derrière chaque médecin".
Dès le début de l'année 2015, des médecins de Seine-Saint-Denis et du Val-de-Marne seront équipés de « bipper » géo-localisables. De la taille d'un paquet de cigarette, ces bippers pourront être activés facilement par les médecins en cas d'agression, un petit bouton permettant d'activer un micro et d'alerter la police simultanément. Mais comme le remarque Bernard Le Douarin, « si une agression a lieu dans une cage d'escalier, c'est trop tard ».
Une situation préoccupante qui n'est cependant pas nouvelle. Déjà en 2002, un rapport alertait sur le risque que certains quartiers deviennent des zones de non-soin. Les médecins, dont une partie commençait déjà à refuser de se rendre dans certains quartiers, affirmaient être allés « aux extrémités de ce qu'ils [pouvaient] faire ». Ils étaient pourtant moitié moins à avoir reporté une attaque. Au delà de ce phénomène, c'est l'insécurité elle-même et ce qui l'entretient qui doivent être attaqués, afin de trouver une solution durable à cette situation.